Ce soir je suis seule dans la grande maison blanche. Il y a des craquements et des bruissements et des hurlements de vent, alors pour faire peur à ma peur, un peu de lait d'amande douce sur le dos de ma main droite, sous les draps mes jambes repliées contre mon ventre et mon visage tout près de mon poing fermé - qui sent bon l'enfance cette nuit, pour faire peur à ma peur.  

 

C'est arrivé très doucement. J'y pensais d'abord chaque seconde, chaque minute puis tous les jours. Longtemps, tous les jours. De poignards au coeur en regards ailleurs.  Puis est venu l'instant où je me surprenais à y songer - je sursautais. Depuis combien de jours n'avais-je pas énuméré les moindres étapes de ces mensonges? Depuis quand n'avais-je pas redessiné les faits, à reculons, à pieds-joint, à saute-mouton? J'oublie parfois que j'ai vécu cette histoire absurde et folle et dévorante et merveilleuse et atroce. Je me souviens et mes mains sentent le parfum, celui que de désespoir j'avais vidé dans les canalisations et qui, de la sorte, s'était répandu hostilement dans tous les tréfonds de l'appartement. Elle a flotté dans l'air pendant des mois, ma fragrance des coeurs brisés. J'oublie parfois que j'ai vécu cette histoire j'oublie parfois que j'ai vécu cette histoire absurde et folle et dévorante et merveilleuse et atroce j'oublie parfois que j'ai vécu cette histoire absurde et folle et dévorante et merveilleuse et atroce et abrutissante et intense et insupportable et forte et puissante et violente et extrême et incomparable et détestable et étourdissante et magique et intolérable et innommable et.

Je veux oublier.
Je ne veux pas oublier.