Les années filèrent, et c’est naturellement que je restai bordée par ces humeurs vertes. Dessiner des jardins me semble, et m’a toujours semblé, illimité; parce qu’un jardin n’a de frontières que fleuries, que d’années en années il grandit en valeur et en beauté. Parce qu’un jardin n’a jamais terminé d’exister. J’ai tout de suite aimé cette idée d’évolution incessante, d’imaginer mes projets poursuivre leur trajectoire lorsque la mienne marquerait sa pose officielle.
Toujours est-il qu’il ne se passa pas une seule après-midi où je ne passai quelques minutes, voire quelques heures, à la terrasse du café quelconque où j’avais rencontré Orfée. Les prétextes pour m’y poser ne me manquèrent pas : des plans à fignoler, quelques pages à lire, un café frappé. Je levais les yeux et sursautais à chaque silhouette féminine s’approchant de près ou de loin de ma table, et, constatant que ce n’était pas elle, reprenais mes activités calmement. Je n’étais pas inquiet, pas impatient, je le savais : je finirais bien par la rencontrer quelque part. A cet instant je ne savais rien d’elle, pas même un prénom auquel m’accrocher, avec lequel documenter mes pensées; rien. Mais quelque chose m’indiquait, et il est étrange d’y penser, que si nos routes s’étaient croisées d’une manière à la fois si légère et insensée, une ombre plus précieuse et sérieuse l’amenerait, et la lierait à moi, de quelque manière que ce soit.